Pour cette dernière semaine des vacances d’été, je vous partage un texte de Christophe André, Psychiatre à l’hôpital Sainte Anne de Paris, c’est surtout un humaniste dont les propos sont toujours, pour moi, puissants et très enrichissants.

Je voudrais également remercier « petite Thanh » qui me partage tout au long de l’année, des textes riches de sagesse et d’enseignements qui m’aident à comprendre sa pratique Bouddhiste.

« Dans le rétroviseur de la vie. J’aime observer comment nous changeons avec le temps,
– comment certains d’entre nous se raidissent sur leurs défauts et leurs angoisses,
– comment d’autres au contraire s’en libèrent et progressent.

Vieillir ne m’inspire ni joie ni peine.
Pas de joie : je ne me sens pas particulièrement heureux de vieillir, comme certaines stars affirment parfois l’être, dans des déclarations peu convaincantes ; si j’avais à choisir, je préfèrerais bien sûr avoir à nouveau 20 ou 30 ans.
Mais pas de peine non plus : c’est comme ça, je n’ai pas une once de regret ou de lamentation à gaspiller sur ce dossier, j’ai bien mieux à faire : profiter de l’existence.

Par contre, vieillir m’intéresse.
J’aime observer comment nous changeons avec le temps,
– comment certains d’entre nous se raidissent sur leurs défauts et leurs angoisses,
– comment d’autres au contraire s’en libèrent et progressent.
Et comment tout cela se fait dans un certain désordre. Dans mon cas par exemple, j’ai le sentiment d’une évolution bancale.

-D’un côté, je m’apaise, je me consolide, je me sens plus stable face à mes angoisses, moins soucieux de ce qu’on pense de moi.
Du coup, toute cette énergie que je ne gaspille plus au-dedans est dirigée vers l’extérieur ; comme je ne suis plus empêtré en moi-même, je savoure mieux le monde, je donne mieux aux autres. -Mais d’un autre côté, j’ai plus de peine pour les autres. Cela n’a fait que s’aggraver avec le temps.
Avant d’être psychiatre, je savais bien sûr que les humains souffraient, mais je ne m’en inquiétais que s’ils souffraient devant moi, ou me l’exprimaient clairement.
Aujourd’hui j’ai faite mienne cette magnifique phrase du poète Christian Bobin, dans Les Ruines du ciel :
« Quelle que soit la personne que tu regardes, sache qu’elle a déjà plusieurs fois traversé l’enfer. »
Depuis que je fais ce métier, je ne sous-estime jamais la souffrance des humains que la vie m’amène à rencontrer, même s’ils ne se plaignent pas, même s’ils ne m’en parlent pas. Mes patients bien sûr, c’est la moindre des choses. Mais aussi les non-patients. Même les pénibles, même les discrets, même les puissants.
J’ai reçu des gens ayant comme on dit réussi, des personnes hauts placées, quelques stars célèbres et adulées. Et j’ai vu beaucoup de souffrances, j’ai vu la fragilité des forts.
Leurs souffrances sont les mêmes que celles des faibles et des anonymes : ne pas être aimés, ne pas être heureux, ne pas avoir l’esprit en paix, ne pas avoir l’âme sereine. Nous sommes tous faits du même bois, d’un bois magnifique, sensible et fragile. D’un bois qui chante et qui souffre. Mais je voudrais aujourd’hui que plus personne ne souffre. Je voudrais que chacune et chacun de nous s’efforce chaque jour de soulager un peu de la souffrance croisée sur son chemin.
Je voudrais que nous soyons assez forts pour nous acharner à ce travail de moineau bienfaisant, toute notre vie durant.
En étant heureux de le faire.
Et en étant heureux de vivre ce que nous vivons. Quoi que ce soit. Voilà donc comment je vieillis.
C’est un peu le bazar, et c’est un peu de guingois.
Mais c’est vraiment, vraiment, intéressant à vivre.
Pour le moment en tout cas…
« 
(Christophe André)